Erica : « On ne voulait pas décevoir les fans des romans de Camilla Läckberg » Les confidences exclusives des scénaristes de la série de TF1
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TF1 propose le final de la première saison d’ Erica ce lundi 20 janvier 2025 en prime time. La série avec Julie de Bona et Grégory Fitoussi est adaptée des romans de l’autrice suédoise Camilla Läckberg. Pour Toutelatele, Julien Magnat et Thomas Boullé, scénaristes de cette production, dévoilent les secrets de cette adaptation.
Valentin Delepaul : Quelles sont les principales différences entre les livres de l’autrice suédoise Camilla Läckberg et la série française « Erica » ?
Julien Magnat : Il y a trois grosses différences entre les livres et la série. Premièrement, c’est le cadre, puisque nous c’est une série française qui se passe en France alors que dans le livre l’action se déroule en Suède. Il y a donc eu un travail d’adaptation. Cela change beaucoup de choses en termes de langage, en termes d’atmosphère, vu que les romans sont très nordiques noirs. Et nous on est à Hossegor, qui est quand même assez lumineux et solaire, donc le cadre est différent. L’époque est différente parce que même si ses romans sont assez modernes, le premier date d’il y a plus de vingt ans. Il y a donc beaucoup de choses qui ont changé comme l’utilisation des portables et des ordinateurs. Troisièmement, c’est le rôle d’Érica, qui est un personnage important dans les romans, mais que nos producteurs voulaient la remettre au centre de l’histoire.
Thomas Boullé : Le gros travail qu’a fait Julien quand il s’est emparé des romans, c’est qu’il a inversé la logique. Dans les romans, c’est Patrick qui mène l’enquête et qui prend toute la place, et Erica est plutôt en rôle secondaire. Le travail de Julien était de remettre Erica dans une position d’héroïne, et donc elle participe beaucoup plus aux enquêtes qu’elle ne le fait dans les romans. Et cela se ressent jusque dans le titre de la série, puisque Erica, ce n’est pas le titre des romans (un épisode a pour titre le nom d’un roman, NDLR), mais c’est le titre de la série.
Comment procède-t-on à l’écriture d’une adaptation ?
Julien Magnat : C’était un peu particulier parce que je suis arrivé sur cette série où il y avait déjà une version précédente qui n’avait pas fonctionné pour la chaîne, pour des raisons qui me sont inconnues. J’ai hérité du bébé d’un autre scénariste qui avait déjà pas mal creusé une adaptation française d’Erica. Ce scénariste, c’est Sylvain Caron, qui est co-créateur de la série avec moi. Au départ, surtout pour « La princesse des glaces » (nom du premier épisode correspondant au premier roman, NDLR), je suis parti de ce qui avait déjà été fait et j’ai fait ma propre version. Thomas est ensuite venu m’épauler et on a tous les deux fait ce scénario. Pour les épisodes d’après, Thomas et moi, on a lu les livres et on est plutôt parti là-dessus.
Thomas Boullé : Pour la première saison, je n’ai pas cette expérience car je suis arrivé au moment des dialogues. Mais pour la saison 2 qu’on est en train de développer avec Julien, j’ai eu cette expérience d’adaptation des romans. Ce qui est chouette, c’est qu’on ne part jamais d’une page blanche parce qu’on a déjà plein d’idées et plein de personnages qui sont donnés par Camilla Läckberg. Le travail est quand même agréable, ce n’est pas chercher des idées, mais c’est plutôt essayer de trouver dans les milliers d’idées que donne Camilla Läckberg celles qu’on a la place de garder dans 90 minutes qui sont très condensées par rapport à ce qu’il y a dans ces romans qui sont foisonnants.
« On a une série avec une héroïne qui n’est pas censée enquêter »
Julien Magnat : Quand on m’a approché pour prendre l’écriture, en lisant les versions d’avant et en parcourant les romans, l’idée principale qui m’a guidé était de remettre Erica en tant que personnage principal et surtout de la mettre en danger. Dès que c’est possible, j’essaye de la mettre directement en péril, elle ou Patrick, et de remonter un petit peu l’assaut thriller. Ce n’est pas toujours facile puisque, comme les téléspectateurs l’ont découvert, on suit pas mal la vie de famille d’Erica et de Patrick. Donc, le challenge pour adapter les romans, en tout cas dans les épisodes qui ont suivi le pilote, c’était comment mettre Erica dans de beaux draps tout en gardant un élément de crédibilité, vu qu’elle est enceinte puis avec un bébé.
Thomas Boullé : Ce qui est effectivement hyper agréable à écrire, même si c’est le défi, c’est qu’on a une série avec une héroïne qui n’est pas censée enquêter. Il faut toujours trouver des moyens et des bonnes idées pour la faire entrer par la fenêtre dans une enquête sur laquelle elle n’est pas censée être. Cela donne à la fois de la comédie, mais aussi de l’action. Cela fait vraiment partie du sel de la série et aussi du plaisir qu’on a nous en tant que scénariste.
« Le challenge était de mettre Erica dans de beaux draps »
Avez-vous regardé la version suédoise de la série, qui s’est arrêtée au bout d’une seule saison en 2012 ?
Julien Magnat : J’ai un peu regardé, ce n’était pas les mêmes épisodes dans le même ordre. Mais il y a aussi des adaptations en bandes dessinées. Cette série a tellement de succès en tant que roman qu’en fait, c’était intéressant de voir ce que les gens avaient fait et comment on allait faire pour créer notre propre version, qui est quand même assez différente.
Avez-vous eu votre mot à dire sur le casting ?
Julien Magnat : Non, c’est rarement le cas dans les séries françaises.
Thomas Boullé : Julie de Bona a été attachée au projet très en amont. TF1 l’imaginait dans le personnage d’Erica dès les premières réunions avec Martin Réa, le producteur. Nous, on a un rôle de scénariste. Pour les questions de casting et toute la partie production artistique, c’est les producteurs et les réalisateurs qui ont fait le travail.
« J’ai fait quelques modifications par rapport à ce que les acteurs découvraient en lisant des phrases »
Avez-vous conseillé Julie de Bona et Grégory Fitoussi pour incarner Erica et Patrick, en donnant par exemple une bible des personnages ?
Julien Magnat : Il y a souvent des bibles pour les personnages, mais vu que c’est une adaptation, que les personnages existent, et qu’il y a eu des romans, des séries télé, je pense qu’il y avait beaucoup de matériel pour que les acteurs puissent découvrir un peu ce qui s’est fait avant.
Thomas Boullé : Il y a une transmission qui s’est faite à l’oral autour de discussions à la fois avec Grégory, Julie, Frédéric Berthe, le réalisateur, et nous lors des lectures. Cela a permis d’avoir des références communes, notamment celle sur Gale Weathers dans « Scream » , qui a nourri l’imaginaire des comédiens. Et comme ils étaient attachés au projet depuis assez longtemps, ils ont eu beaucoup de temps pour se l’approprier, ce qui donne un résultat très naturel.
Julien Magnat : On a eu le temps de faire une table ronde avec Julie et Grégory, et on a lu les scénarios. C’était très agréable. Dès qu’on ouvre les dialogues, il y a plein de questions, et il y a un travail intéressant. J’ai fait quelques modifications par rapport à ce que les acteurs découvraient en lisant des phrases. Des fois, même en tant que scénariste, on entend un dialogue, on se dit c’était mieux avant, ou il faut qu’on le raccourcisse, ou c’est vraiment bien. Moi, j’adore les lectures parce que c’est vraiment là qu’on découvre notre travail, vu que c’est ces acteurs là qui vont l’interpréter à l’écran. C’est toujours assez intéressant.
« Julie de Bona a été attachée au projet »
A-t-il été difficile de jongler dans l’écriture entre les scènes humoristiques, dramatiques et policières ?
Thomas Boullé : J’ai l’impression que c’est venu assez naturellement pour Julien, il a trouvé le bon équilibre. La seule vigilance qu’on a eue tous les deux, c’est de toujours faire attention à ce que l’enquête continue et qu’elle soit solide, quand bien même on passe du temps sur la vie privée. Mais au contraire, c’était un plaisir de mélanger les deux, à tel point qu’il y a des scènes où on ne sait pas vraiment dire si c’est de la vie privée ou de l’enquête, parce que dans la série, tout est incroyablement emmêlé.
Julien Magnat : Les enquêtes, c’est un peu comme une partition musicale, il faut toujours que les enquêteurs, qu’il s’agisse des policiers ou de notre héroïne, soient sur le qui-vive. Il faut qu’ils aient des nouveaux indices, un nouveau suspect, parce que dès que la musique s’arrête, la pression retombe. L’idée, c’est vraiment de garder un suspense à l’écran, de les mettre en danger, de surprendre un peu les spectateurs. Il y a beaucoup de fans de Camilla Läckberg et je ne voulais pas les décevoir. Je voulais garder des éléments des livres qu’ils aimaient, même si on a changé beaucoup de choses. Ce qui était important pour moi dans le mélange des genres, c’était quand même de garder un élément de surprise, même si on a aimé le roman. Dans l’épisode « Le prédicateur », j’avais eu envie de changer l’identité du coupable, en me disant peut-être que les gens qui connaissent le roman, on peut encore les surprendre en bidouillant deux-trois petites choses de manière différente tout en gardant l’intrigue.
Cette adaptation de la série a pris combien de temps ?
Julien Magnat : C’était particulièrement rapide, Julie de Bona était attachée au projet et on avait plus ou moins des dates de tournage désirées par les producteurs. Pour ma part, cela s’est échelonné sur huit mois. Quand je suis arrivé, il y avait très peu de temps pour reprendre les rênes de la série. C’était beaucoup de travail en très peu de temps. J’avais un mois pour écrire le premier épisode, c’est presque 100 pages. Ensuite, on a eu plus de temps, mais le début c’était très chaud. C’est excitant pour un scénariste, même si c’est un peu stressant.
Thomas Boullé : Notre travail à tous les deux s’est échelonné sur trois mois.
« Il y avait très peu de temps pour reprendre les rênes de la série »
Aviez-vous déjà collaboré ensemble et comment avez-vous réparti le travail ?
Thomas Boullé : C’est la première fois qu’on travaille ensemble et moi je suis arrivé en fin de course pour aider Julien qui avait trois textes à sortir en très peu de temps. Je devais l’aider à affiner les dialogues et les continuités avant de tout envoyer à TF1.
Julien Magnat : On n’avait jamais collaboré ensemble et pour moi c’était ma première fiction télévisée pour la France. J’avais fait pas mal d’animations, mais jamais de fiction en prime time. Même si j’aimais bien le défi, c’est vrai que c’était un peu flippant par moment parce que je n’avais pas l’expérience de Thomas. On m’avait parlé de son travail sur la série Brocéliande et notre rencontre a été très agréable. Thomas a bien plus d’expérience que moi dans les fictions télévisées et je pense qu’on s’est bien complété. Je suis arrivé avec des idées un peu délirantes de thrillers, de films d’horreur, de trucs qui me font kiffer depuis des années et c’est vrai que je ne sais pas comment je m’en serais sorti sans la collaboration avec Thomas. J’espère qu’on pourra collaborer sur d’autres choses.
Les thématiques abordées dans la série sont assez modernes (violences conjugales, l’après maternité...). Est-ce un choix de votre part ou juste l’adaptation des livres ?
Julien Magnat : C’est surprenant, il y a plein de personnages LGBT dans les bouquins et c’est vrai qu’on a l’habitude d’en voir plus de nos jours, mais faut savoir que Camilla Läckberg a écrit cela il y a plus de vingt ans. J’ai été assez impressionné par la diversité et l’ouverture à autre chose que la norme. Martin n’est pas gay dans le livre, mais il y a toujours un personnage LGBT dans ses bouquins pratiquement. Cela lui tient à cœur. Concernant la maternité, il y a un sujet autour de ce qu’on hérite de la famille. Ce côté héréditaire est très important dans les livres et je pense qu’on a vraiment tenu à le garder le plus possible dans le scénario.
Thomas Boullé : Camilla Läckberg a une écriture qui met au cœur de ses histoires, autant sur le plan policier que sur le plan personnel, l’intimité des familles et notamment l’intimité des femmes. C’était impossible d’adapter la série sans garder cela.