Toutelatele

Hubert Besson (producteur de Plus belle la vie) : « Notre maître mot est l’anticipation »

Par
Directeur exécutif en charge des contenus
Publié le 03/09/2014 à 13:29 Mis à jour le 15/09/2014 à 23:35

Hubert Besson est le producteur de « Plus belle la vie » sur France 3 depuis 2004. Le Directeur général de la division série de Telfrance s’est confié à Toutelatele à l’occasion des dix ans du feuilleton et du classement des soaps les plus regardés en Europe et aux États-Unis.

Benjamin Lopes : Plus belle la vie est le huitième feuilleton le plus regardé en Europe, aux États-Unis, au Canada et en Australie. Quelle satisfaction tirez-vous de ces résultats ?

Hubert Besson : On est très heureux. Nous avions déjà conscience du succès franco-français. La plupart des feuilletons ont du mal à s’exporter, mis à part des séries comme Les feux de l’amour, qui appartient d’ailleurs à un genre un peu différent. Nous avons pour notre part travaillé sur l’identité marseillaise, et de là, on est arrivé à parler d’identité nationale. La série parvient en plus à passer les barrières de la France, puisque Plus belle la vie est également diffusée sur TV5 Monde, en Suisse et en Belgique. Nous sommes ravis de ces résultats.

Pourquoi Plus belle la vie est devenu si populaire auprès du public Français ?

Je pense que ça fait partie des codes du genre. Dans un feuilleton, si on est capable d’avoir des arches qui sont des histoires fortes et segmentantes avec des rendez-vous qui sont donnés pour accrocher tout au long des épisodes, on a gagné notre pari. C’est ce qu’on a appris avec le travail effectif qu’on a réalisé avec les auteurs. À l’origine, on avait démarré sur une chronique et les audiences n’étaient pas au rendez-vous. On a vu qu’à partir du moment où on était capable de garder cet aspect avec l’humeur du temps, mais de raconter également des histoires à fort potentiel afin de se retrouver au niveau de la construction narrative avec plus de policier, du thriller ou encore du fantastique, le public suivait les personnages et se les appropriait.

Existe-t-il une véritable différence entre Plus belle la vie et les feuilletons anglais ?

Plus belle la vie est programmée sur cinq jours alors que EastEnders sur BBC One par exemple est proposé quatre fois par semaine. Dans le même temps, nous n’avons pas la même durée de vie. Plus belle la vie est encore un peu un bébé dans notre paysage audiovisuel puisque EastEnders est diffusé depuis plus de 30 ans et Coronation Street depuis plus de 50 ans en Angleterre. On avait un retard inouï en France dans ce périmètre, à savoir le soap, communément parlant. On estime de ce côté que les portes sont grandes ouvertes pour l’avenir. On travaille vraiment à nous mettre en phase pour le futur.

Comment œuvrez-vous au quotidien pour capter l’attention des téléspectateurs après tant d’années ?

Il existe un véritable travail en amont avec les auteurs et le diffuseur. Les auteurs s’approprient des arches qui sont de grandes histoires que l’on va raconter à l’intérieur du feuilleton. On a un pôle d’écriture qui est totalement innovant en France puisque Plus belle la vie recense 25 auteurs qui œuvrent autour du programme, dont 17 auteurs chaque semaine pour livrer cinq épisodes différents. Il y a donc une véritable richesse dans la proposition des histoires, mais aussi de la part des producteurs. Ils sont trois à travailler sur ce programme. L’enjeu pour nous est de se renouveler perpétuellement dans les intrigues et les personnages. On n’a jamais considéré qu’on était arrivé au bout du compte. Notre moteur est de se dire que le feuilleton doit être plus fort demain qu’aujourd’hui.

Plus belle la vie fête ses dix ans en 2014. Avez-vous prévu un dispositif spécial avec des intrigues évènement ?

Nous travaillons effectivement sur des évènements. Tout d’abord les deux spin off. Un dans le Nord avec Rudy et Ninon et un autre à Marseille. Il s’agira de la rencontre entre le commissariat de Plus belle la vie et les docks de la ville. Cette série dérivée constituera deux épisodes de 52 minutes qui seront sans doute diffusés à l’automne sur France 3. À côté de ça, beaucoup de surprises seront dispatchées tout au long de la saison à l’occasion de cet anniversaire.

« Notre moteur est de se dire que Plus belle la vie doit être plus fort demain qu’aujourd’hui »

En Europe, les soaps proposent régulièrement des évènements explosifs en rognant sur les budgets de plusieurs épisodes. Cette pratique est-elle utilisée par Telfrance pour Plus belle la vie ?

Nous le faisons sur des épisodes comme ceux que nous avons réalisés sur la fête de la musique par exemple, mais également avec l’intrigue sur la fin du monde. Nous préparons actuellement un nouvel épisode spécial. Dans Plus belle la vie, on travaille régulièrement autour d’épisodes spéciaux, mais également sur des soirées exceptionnelles en retravaillait les histoires. C’est quelque chose que nous avons totalement intégré dans la structure de la série aujourd’hui.

Les feuilletons anglais n’hésitent pas à mettre les moyens en faisant exploser des lieux cultes ou avec des accidents spectaculaires. Peut-on s’attendre à des évènements similaires dans Plus belle la vie ?

Il faut nous laisser un peu de temps (rires). Nous n’avons pas autant d’années de diffusion que des soaps comme Coronation Street ou encore EastEnders. Ces éléments sont toujours à prendre avec des pincettes. Il y a quelques années, le feuilleton de la BBC avait failli y laisser sa peau, car les producteurs avaient fait le choix de tout chambouler. BBC One avait été menacée en terme d’audience à cette époque là. La chaîne a retrouvé son public ensuite, mais a pris un gros risque. Nous avons de notre côté un chantier de ce type qui interviendra au cours de ce dixième anniversaire.

Combien coûte un épisode de Plus belle la vie ?

Un épisode de Plus belle la vie coûte aujourd’hui 120 000 euros.

Plus belle la vie surfe régulièrement sur l’actualité. Comment sont sélectionnés les sujets en amont ?

Nous avons une équipe qui travaille sur cet aspect, et nous sommes en train de l’affiner. Aujourd’hui, c’était un travail que l’on fait avec les auteurs, car on est tous concernés par ce que l’on vit dans notre société. On a fait un constat assez intéressant au bout de dix ans. Si on travaille dans l’air du temps, on s’est rendu compte qu’il existait des cycles. Plusieurs fois dans l’écriture, il nous est soit arrivé d’être rattrapé par la société, soit nous de la rattraper, car le miroir était alors très étroit entre nos intrigues et la réalité. On retrouve des événements forts assez régulièrement qui sont des sujets qui imprègnent Plus belle la vie.

Partie 2 > Le tournage, les audiences et l’exportation


Pour les présidentielles, les personnages parlaient du nom du vainqueur de l’élection. Comment s’organise la production pour être au plus près de la réalité dans ces cas-là ?

Nous ne sommes pas des devins (rires). On tourne en fait deux scènes. Après, il faut juste qu’à l’antenne ils ne se trompent pas de diffusion. Parfois, on détourne également les sujets. On a décidé de traiter la Coupe du monde avec un tournoi de babyfoot. C’était une façon pour nous de rendre hommage à cet évènement puisqu’on était bien évidemment incapable de dire qui avait gagné quel match par avance.

Quel est le délai entre le tournage d’une scène et sa diffusion sur France 3 ?

Il existe un décalage de quatre à six semaines entre la prise d’une scène sur notre plateau et la diffusion à la télévision française. La Belgique dispose, quant à elle, d’une avance d’une semaine. Les épisodes sont donc prêts assez rapidement.

Les audiences de Plus belle la vie sur France 3 ont-elles un impact direct sur les intrigues ?

Nous ne pouvons pas l’utiliser, car à partir du moment où on a lancé une histoire à l’antenne, c’est compliqué de venir impacter sur cette histoire puisque quand elle sera diffusée, on sera à quasiment deux semaines de sa fin. On aura donc du mal à l’analyser. Sur une telenovela par exemple, vous avez 120 épisodes, et là vous pouvez corriger des choses. Chez nous, ce qui est important c’est que lorsqu’on amène un personnage à l’antenne, on est très regardant sur la façon dont ça se passe, la manière de laquelle il s’intègre, et ce qu’il va amener. On travaille beaucoup avec notre ressenti et dans une moindre mesure avec les études.

Plus belle la vie est le succès le plus important de France 3. La chaîne n’a-t-elle jamais été tentée de rallonger les épisodes de quelques minutes pour profiter de cet auditoire fidèle ?

Ça fait partie des sujets qu’on a étudiés avec la chaîne. France 3 est un véritable partenaire et nous nous sommes posé la question à un moment donné, et de savoir si le feuilleton devait faire 30 minutes. On est arrivé à la conclusion que le 24-25 minutes était le meilleur format pour Plus belle la vie au niveau du traitement des intrigues et du rythme.

« Il est tout à fait possible aujourd’hui d’envisager un spin-off de Plus belle la vie sur une autre chaîne »

Des personnages prévus à l’origine pour une arche de six semaines et sont-ils finalement restés plus longtemps dans le feuilleton ?

Effectivement, ça a par exemple été le cas de Jean Paul Boher qui était là initialement pour une enquête policière et maintenant cela fait sept ans qu’il participe aux intrigues du Mistral. Ce qui est intéressant avec un programme tel que Plus belle la vie, c’est qu’il y a malgré tout des impondérables. Même si nous on est là pour essayer de gérer un maximum de choses, la machine est telle, car il s’agit effectivement d’un processus industriel, qu’un petit grain de sable n’est jamais à l’abri d’arriver dans ses rouages. Tout ce qu’on avait prévu à l’origine parfois s’écroule et nous sommes obligés de procéder différemment. Notre maître mot est l’anticipation.

Pourquoi les feuilletons français s’exportent moins bien que les soaps anglais ou australiens selon vous ?

Tout d’abord, il y a le problème de la langue. Il est évident aujourd’hui qu’il faut que ce soit en langue anglaise pour exporter un programme et viser l’international. Comme je le disais avant, notre objectif sur Plus belle la vie est de parler de l’identité d’une région, et à plus grande échelle, de celle nationale. Nous dépassons les frontières de la francophonie et nous sommes par exemple piratés dans tout le Maghreb, même si ce n’est pas chiffrable.

Comment analysez-vous l’échec de Plus belle la vie en Italie où la série a dû être retirée de l’antenne faute d’audience ?

On n’a pas raisonné de cette manière. Pour moi, la vocation d’un programme comme Plus belle la vie n’est pas internationale. Je pense qu’elle est dans un premier temps destinée à la France, puis à la francophonie. Sincèrement, ce que nous avons déjà accompli est déjà relativement considérable. Nous n’avons pas une image ciblée pour être vendue dans le monde.

Pourtant des feuilletons comme Sous le soleil ont réussi à s’exporter dans plus de 100 pays. Comment l’expliquez-vous ?

Saint-Tropez a une image internationale. Pour avoir justement travaillé sur cette production, je peux vous dire que toutes les maisons utilisées étaient des villas californiennes et les enjeux sentimentaux étaient relativement simples. Cette série avait, dès son départ, été calibrée pour de l’internationale, ce qui n’est pas le cas de Plus belle la vie.

Est-il possible d’envisager la naissance d’un véritable spin off de Plus belle la vie sous la forme d’un feuilleton ?

L’idée d’un spin-off sous la forme d’une série à part entière n’est pas un débat aujourd’hui. Ce n’est pas à moi d’expliquer le pourquoi du comment, mais il est tout à fait possible d’envisager un spin-off de Plus belle la vie sur une autre chaîne. Cependant, on est en France et ça ne fait pas débat, c’est malheureux. Donc nous, aujourd’hui, on ne le propose pas et nous sommes très heureux sur France 3.