18 heures, polémiques, access en reconstruction : le bilan de Philippe Vilamitjana, directeur des programmes de France 2
La télévision publique, Philippe Valamitjana ne l’a jamais quittée. De journaliste à rédacteur en chef de Thalassa, ce dernier est parvenu à grimper les échelons pour devenir directeur des programmes de France 5 en 2005. Sept ans plus tard, il décroche la direction des programmes de France 2 dans un climat compliqué, où l’arrêt de la publicité a fragilisé le service public. Pour Toutelatélé, il dresse le bilan de la saison passée et revient sur les défis de la rentrée. Entretien.
Robin Girard-Kromas : Cette saison, France 2 affiche 14.2% de part de marché, en retrait de 0.4 point sur un an. Quel bilan dressez-vous aujourd’hui ?
Philippe Vilamitjana : Le bilan est satisfaisant, car France 2 reste la première chaîne publique et la seconde chaîne nationale, très loin devant la troisième, en conservant sa différence et ses valeurs. Les contenus que nous proposons continuent à fédérer un large public. Bien sûr, nous avons connu un début de saison un peu compliqué. Mais ce n’est pas une surprise : j’avais dit que la saison serait celle des grands chantiers et ça a été le cas. On s’est donné comme objectif la rentrée 2013 et en attendant nous avons fait des modifications depuis le printemps qui ont été payantes. On finit le mois de juin à 15.1%, soit 0.5 de plus qu’en juin 2012. On a repris des couleurs l’après-midi dans le fond de grille. En prime time, les séries longues fonctionnent très bien avec parfois jusqu’à 18%. En matière de divertissement, on a testé et on refera des grands shows. Globalement, même si nous avons perdu un peu d’audience comme beaucoup de nos concurrentes, le bilan reste satisfaisant.
Le renouvellement complet de votre access s’annonce comme le plus gros chantier de la chaîne la saison prochaine...
C’est l’un des gros enjeux de la rentrée 2013. Nous avons travaillé pendant toute l’année dans plusieurs directions. Nous avons étudié tous les genres : le divertissement, le jeu, le talk, le magazine... On a fait beaucoup de pilotes, on a rencontré de nombreux animateurs. On s’est dit qu’il y avait pas de territoires interdits chez nous, c’est pour cette raison que nous avons décidé d’aller vers la cuisine à notre manière en semaine et vers le talent show le week-end. C’était plutôt anormal que France 2, chaine généraliste, ne soit pas positionnée sur ce type de programmes.
En quoi va consister la nouvelle émission de cuisine proposée à 17h30 ?
Nous ouvrons l’access avec un jeu où deux candidats tentent de réaliser le meilleur plat, avec l’aide de chefs. L’animateur de ce divertissement sera Christophe Michalak, un nouveau visage pour France 2. Ce dernier coproduira l’émission avec Nagui.
« Certains ont profité du 18 heures de France 2 pour se faire un peu de com’ »
La communication autour de votre nouveau talk-show a été difficile, Sophia Aram apparaissant comme un choix par défaut...
Nous avons développé plusieurs pistes. Nous n’avons jamais communiqué auparavant sur ce programme, à part pour confirmer l’arrivée de Sophia Aram. Bien sûr, nous avons rencontré beaucoup d’animatrices et d’animateurs. Avec Bruno Patino (Directeur général délégué aux programmes, aux antennes et aux développements numériques, ndlr), nous avions l’envie d’aller chercher un nouveau visage féminin. Donner plus de place aux femmes est d’ailleurs l’un de nos objectifs pour la saison prochaine. Néanmoins, nous avons tout de même rencontré les gens de la maison. Pour le reste, il y a beaucoup de personnes qui ont dit avoir refusé notre proposition alors que nous ne les avons jamais rencontrées ! Certains ont profité de l’occasion pour se faire un peu de com’. Pour d’autres, les prétentions salariales étaient trop élevées pour une chaîne comme France 2.
Pourquoi avoir finalement opté pour Sophia Aram ?
On cherchait au départ un profil un peu journaliste qui accepte de se détendre dans le cadre du format où l’actualité est détournée. Puis, il y a eu la rencontre avec Sophia et nous avons eu un coup de cœur pour cette humoriste. On a compris avec notre équipe et le producteur que ce n’était pas une journaliste qui devait présenter l’émission, mais une humoriste. Sophia est une femme libre et elle aura carte blanche sur France 2. Elle a décidé, elle aussi, de faire évoluer sa personnalité par rapport aux rubriques qu’elle faisait sur France Inter. Elle s’est lancée dans l’aventure avec un enthousiasme incroyable qui ne s’est pas démenti depuis un mois.
« Je préfère quelqu’un d’impertinent à de l’eau tiède »
Ce choix ne risque-t-il pas d’être trop segmentant, Sophia Aram étant marquée politiquement à gauche ?
Ce qui m’intéresse, c’est que Sophie Aram est une femme libre. Je préfère quelqu’un d’impertinent à de l’eau tiède. Ce qu’elle vient faire chez nous, ce n’est pas une rubrique telle qu’elle la faisait à France Inter, c’est un nouveau départ pour sa carrière et un nouveau visage d’elle qu’elle veut donner.
Combien de temps comptez-vous laisser au programme pour s’installer ?
On veut vraiment lui donner du temps. L’émission sera en direct et en public, c’est un vrai show. Ce ne sera pas du tout la formule classique de l’animateur entouré de ses chroniqueurs, on veut innover là aussi. Il y a aura un orchestre, du live, des gens qui viendront et partiront. Il y aura beaucoup de magnétos. On va constituer une joyeuse bande autour de Sophia.
Partie 2 : Le casse-tête du 19 heures
La saison dernière, France 2 a été régulièrement au centre de l’actualité média après des licenciements avec grands fracas (Bruce Toussaint, Julien Courbet...). Cela n’a-t-il pas découragé certains postulants pour le 18 heures ?
Bruce Toussaint est un copain, je suis resté en excellent terme avec lui. Et je pense que cet été, j’irai manger quelques huîtres au Cap Ferret avec Julien Courbet ! Il ne faut pas dramatiser, c’est le monde de la télévision et il est normal que des émissions s’arrêtent. Cela provoque toujours une déception, un choc et c’est aussi une question d’image pour l’animateur. Mais on le fait normalement, professionnellement. Je suis extrêmement respectueux des relations avec les producteurs et les animateurs. Il n’y aucune tension ou mépris dans cette maison.
Vous avez annoncé plusieurs arrêts d’émissions comme Histoires en série ou Des mots de minuit. Que cela signifie-t-il pour l’avenir de Béatrice Schönberg et Philippe Lefait sur la chaîne ?
Pour l’instant, leurs programmes respectifs se sont arrêtés et ils sont sortis de l’antenne. Ils attendent des propositions de notre part.
Alexandre Devoise a disparu de la circulation depuis la fin de Sing Off, Olivier Minne doit se contenter de Fort Boyard... France 2 n’a-t-elle pas trop d’animateurs ?
On est certainement la chaîne en France qui a le plus de visages. Les animateurs vont et viennent, c’est la vie de la télévision. On nous reproche souvent de ne pas inventer, mais pour le faire, il faut de la place.
« Béatrice Schönberg et Philippe Lefait attendent des propositions de notre part »
Qu’en est-il de l’unique jeu prévu à 19h15 ?
On regarde encore comment évoluent les deux jeux qu’on a mis à l’antenne le 1er juillet (Avec ou sans joker et Le cube, ndlr) et on décidera dans les prochaines semaines.
Qu’en est-il du pilote de La Grosse Équipe ou de Passe à ton voisin produit par Freemantle ?
On a mis en place une politique de développement très importante cette saison avec 4 ou 5 pilotes. On a encore acquis des formats. Je voudrais qu’on ait un back up puissant et solide prêt à aller à l’antenne en cas de besoin. Le pilote de la Grosse Équipe en fait partie. Mais pour l’instant, on continue à travailler avec les producteurs. On choisira à la rentrée.
Cela signifie-t-il l’arrêt de Mot de passe et le départ de Patrick Sabatier ?
Le jeu sera de retour par salve la saison prochaine. Patrick Sabatier est l’animateur de Mot de passe et il n’est pas question qu’il ne le soit plus.
Peut-on également s’attendre à un retour de On n’demande qu’à en rire par salves en quotidienne ?
Non, car nous avons à la place le talk-show de Sophia Aram à qui nous voulons laisser du temps. Mais On n’demande qu’à en rire sera de retour en prime time.
Partie 3 : L’arrêt de Taratata, le succès de Patrick Sébastien
Dernier point du chantier de l’access, vous allez proposer une nouvelle shortcom...
Nous avons lancé deux projets et nous avons retenu pour la rentrée, Y a pas d’âge avec un casting quatre étoiles et toute une série de guest star comme Dany Boon, Fred Testot, Elie Semoun, Michel Cymes, Fréderic Lopez, Stéphane Bern… L’autre projet viendra après.
Comment allez-vous éviter de reproduire l’échec de Roumanoff et les garçons ?
Le programme court d’Anne Roumanoff se situait dans une structure de grille tout à fait différente, quand il y avait encore un grand tunnel de publicités et de programmes courts et que les téléspectateurs avaient pris l’habitude de déserter France 2 à partir de 19h40. Depuis janvier, nous avons fait du changement à ce niveau là et nous allons conserver cette stratégie qui nous a fait gagner du public sur ce créneau.
« Les réactions sur l’arrêt de Taratata étaient logiques »
Un autre gros chantier de France 2 à la rentrée, c’est le renouvellement total de l’offre musicale. Avez-vous compris les vives réactions suite à l’arrêt de Taratata ?
Bien sûr, j’ai compris cette émotion, car Taratata était une marque emblématique et il y avait un lien fort avec le milieu musical. Les réactions étaient logiques. Toutefois, nous avons considéré que l’offre musicale de France 2 ne se limitait pas à Taratata et qu’elle devait être reconstruite. Nous avons fait le choix de créer une marque unique, Alcaline, dans un lieu unique, le théâtre du Trianon. Celui-ci deviendra le « lieu musique » de la Deux. Les premiers concerts retransmis seront ceux de M et Christophe Maé. La musique n’aura jamais été aussi bien exposée sur France 2 avec l’instant Alcaline. Ce programme court sera diffusé tous les soirs avant le prime et permettra de découvrir un artiste. Tous les jeudis à 23h15, il y aura également Alcaline, le mag. Enfin, on met en place une plateforme numérique qui permettre d’acheter de la musique et des places de concert.
Qu’advient-il de Grand Public, proposé le jeudi à 23h15 cette saison ?
L’émission reste sur la grille de la chaîne à la rentrée. Elle sera diffusée le samedi après-midi après Envoyé spécial, la suite, et rediffusée le mercredi soir à minuit.
Côté divertissement, Intervilles a connu un joli succès pour son retour sur France 2 fin juin. Réfléchissez-vous au retour du format sur la chaîne ?
On avait décidé dans le cadre de la politique événementielle de la chaîne de célébrer les 50 ans d’Intervilles. On l’a fait, on en est très contents, mais faire revenir le format n’est pas d’actualité. En revanche, on prépare pour la rentrée un prime spécial pour les 50 ans de la disparition d’Edith Piaf à New York. Les Grands shows vont également se poursuivre avec Laurent Gerra et Patrick Bruel. La fête de la chanson française quitte France 3 pour France 2. Enfin, nous proposerons deux soirées spéciales consacrées à Céline Dion et à Fabrice Luchini.
« Patrick Sébastien est le grand vainqueur de la saison »
Confirmez-vous l’arrêt de l’émission Simplement pour un soir ?
Oui, nous n’avons pas commandé de numéros supplémentaires.
Patrick Sébastien enchaîne les succès à l’antenne de France 2. Comptez-vous lui proposer plus de choses la saison prochaine ?
Patrick Sébastien est et reste, pour les deux ans à venir, l’un des animateurs phares de la chaîne, et ce, pour notre plus grand bonheur. Nous entretenons avec lui d’excellents rapports et selon nous, c’est le grand vainqueur de cette saison en divertissement. C’est lui qui résiste le mieux à The Voice, c’est lui qui fait des performances remarquables et c’est lui qui a fait, avec Aida Touihri, de la fête de la musique un événement populaire et inattendu pour l’ensemble du milieu. Donc, dire qu’on ne pense pas à lui pour la fête de l’année prochaine, ce serait mentir !
Partie 4 : Quelles fictions et séries pour la rentrée ?
Côté fiction, France 2 a connu plusieurs beaux succès la saison passée. Quelle est votre stratégie pour l’année à venir ?
Nous allons continuer à miser sur des séries longues d’une part et des unitaires avec un casting important d’autre part. Sur les séries longues, ce qu’on a développé a été payant avec les succès de Détectives, Fais pas ci, fais pas ça, Candice Renoir, Cain, La smala ou encore Les petits meurtres d’Agatha Christie. Toutes ces séries seront de retour. Il y aura également de la nouveauté avec La source (une série d’espionnage de 6 épisodes de 52 minutes) et La Brigade, portée par Clovis Cornillac. Enfin, Olivier Marchal sera également présent avec l’unitaire Vauban qui pourrait devenir une série. Le long travail des équipes de la fiction nous donne entièrement satisfaction.
Qu’en est-il de Tiger Lily et Main Courante ?
On ne fait pas revenir des fictions qui ne rencontrent pas leur public. Quand on a la chance d’avoir des séries qui fonctionnent, qui ont des héros très récurrents qui suscitent l’adhésion du public, on les privilégie.
Cet été, France 2 casse ses codes de programmation avec de la comédie le vendredi, soirée traditionnellement dédiée au polar. Cela marque-t-il une rupture dans la stratégie de la chaîne ?
Non, ce n’est qu’une installation ponctuelle d’été avec des rediffusions.
« Inquisitio sera de retour en 2014 »
Autre série française, Inquisitio a très bien démarré avant de s’effondrer l’été dernier...
Inquisitio n’est pas une déception. On y retourne même avec une seconde saison est prévue pour 2014.
Quelles seront les séries inédites que vous proposerez à la rentrée ?
On retrouvera de nouveaux épisodes de Castle puis de Rizzoli & Isles.
Proposer plus de séries américaines est un moyen de réduire les coûts tout en maintenant de bonnes audiences. Ne souhaitez-vous pas consacrer une soirée de plus à ce type de programmes ?
Nous, nous allons rester sur une soirée par semaine, avec notre lundi soir qui fonctionne très bien.
Sur quelle série allez-vous miser pour remplacer The Closer la saison prochaine ?
Nous ne souhaitons pas faire d’annonces à ce sujet pour l’instant.
Partie 5 : L’avenir de la scripted reality
Le magazine Cash investigations va-t-il revenir en prime time ?
On est très heureux du succès de Cash Investigations en prime time et de la collaboration qui s’est installée entre la direction magazine et la rédaction de France 2. Toutefois, on retrouvera l’émission en deuxième partie de soirée à la rentrée. Après, on est tombé d’accord avec Élise Lucet et Thierry Thuillier pour proposer Cash en prime time de manière ponctuelle et événementielle à chaque fois qu’il y aura une enquête exceptionnelle comme c’était le cas pour l’évasion fiscale.
Qu’en est-il du magazine en caméra caché, Les Infiltrés ?
Nous n’avons pas encore renouvelé l’émission, nous attendons la proposition de CAPA.
Cöté magazines, prévoyez-vous de lancer une nouvelle émission pour compléter vos après-midi performantes ?
Depuis le printemps, nous avons allongé Toute une histoire dans un format 90 minutes et Comment ça va bien ? dans un format 70 minutes. Ce dispositif sera reconduit à la rentrée. À la suite de ces deux magazines, nous proposerons un épisode du Jour où tout a basculé. Nous avons effectué avant l’été plusieurs commandes à Julien Courbet.
« Nous nous posons encore des questions sur la scripted reality »
Qu’en est-il de l’avenir des deux autres « scripted reality » de la chaîne, Par Amour et Dernier recours ?
On va continuer à les tester dans la grille. Dans tous les cas, il y aura un épisode de scripted l’après-midi sur France 2 entre septembre et juin. Mais c’est un genre sur lequel nous nous posons encore des questions.
Comment analysez-vous l’échec du Tourbillon de l’amour cette saison ?
Ce feuilleton fonctionnait très bien en Allemagne depuis de nombreuses années et on a voulu le proposer en France pour voir si le public adhérait. L’économie du programme était bien moins chère que l’émission précédente. On lui a laissé un mois, mais il ne s’est pas installé, nous avons donc choisi de l’arrêter.
Les neuf commandements de la rentrée de France 2
1. Faire arriver à France 2 de nouveaux visages avec Christophe Michalak, Sophia Aram et Adriana Karembeu avec un programme pour elle, Explorateurs
2. Mettre à l’antenne de nouveaux programmes en access
3. Proposer des nouveautés en prime : Les aventures de médecine avec Michel Cymes, Explorateurs avec Adriana Karembeu, l’adaptation d’un format de ITV avec un thème, un jour de tournage et 50 caméras dessus (premier sujet : la santé), et enfin Nous, par Marie Drucker, photographie inédite et innovante de la société française avec un premier thème sur habitat.
4. Une politique fiction qui repose sur le développement de séries longues avec 10 épisodes pour la nouvelle saison de Candice Renoir.
5. Une politique documentaire événementielle avec le retour d’Apocalypse sur 5X52 minutes.
6. Des événements culturels
7. Une nouvelle offre musique avec Alcaline
8. Le développement multi-support de nos contenus.
9. L’affirmation de la volonté d’être une chaîne en mouvement, pleinement dans son époque et de faire de notre différence une identité. Par ailleurs, une place toute particulière pour les femmes dans la grille de rentrée.