Stella Kamnga (Les Grandes Gueules) : « Je refuse de croire que tous les noirs en France sont victimes d’un mauvais sort »
Aux Grandes Gueules depuis juin 2021, Stella Kamnga a quitté le Cameroun pour la France en 2017. La jeune femme, engagée et patriote, a relaté ses différents combats idéologiques.
Joshua Daguenet : Dans votre biographie Twitter, les premiers mots inscrits sont les suivants « Amoureuse de la France ». Comment définiriez-vous cet amour pour un pays que vous avez rallié en 2017 ? :
Stella Kamnga : Quand j’écris « Amoureuse de la France », c’est amoureuse de son histoire, de sa littérature, d’un pays qui offre un éventail de possibilités pour parvenir à des objectifs, a la différence du pays d’où je viens, le Cameroun. Là-bas, je n’avais pas d’appui comme en France.
Vous représentez à présent les étudiants dans Les Grandes Gueules après le départ de Maxime Lledo. Avez-vous suivi le parcours de votre prédécesseur pour préparer au mieux cette nouvelle expérience ?
Non pas du tout, chaque parcours individuel est différent. Celui de Maxime Lledo est propre à lui, mon histoire l’est aussi. La nouveauté pour moi est que l’émission passe à la télé puisque j’avais déjà fait un an à Sud Radio. Les Grandes Gueules est une émission emblématique, tout le monde la connait, cela fait des années qu’elle donne la parole à tout le monde. C’est un honneur et une chance inespérée de me retrouver là. J’entends affirmer qui je suis, affirmer mes opinions, mon parcours, répondre en toute objectivité aux questions que l’on me pose.
Après trois mois de présence au sein du talk, quels sont les débats qui ont marqué votre début d’aventure ?
Dès ma première émission, j’ai eu le sujet d’un professeur en plateau qui parlait de la blanchité culinaire (rires). Je trouvais ça complètement absurde. Je me souviens aussi avoir croisé le fer avec Jordan Bardella du Rassemblement National, c’était très intéressant. Lors d’une émission sur la police, je me suis accrochée avec un collègue et j’ai compris qu’en plateau on peut s’aboyer dessus, et juste après, la tension retombe toute seule. On repart sur de bonnes bases et on en rigole.
« Dans la sphère médiatique, nous ne sommes pas nombreux issus de l’immigration à tenir le discours que je tiens »
Vous luttez activement contre le communautarisme et l’idéologie racialiste. Pourquoi une telle préoccupation pour ces questions ?
En France, dans la sphère médiatique, nous ne sommes pas nombreux issus de l’immigration, issus de l’étranger, à tenir le discours que je tiens. J’entends des discours victimaires, racialistes, woke, de déconstruction de la civilisation européenne, voire française, telle qu’on la connait. J’ai été élevée dans le respect des règles avec le strict minimum. En France, j’ai commencé à la case départ et je continue à faire mon petit bout de chemin. J’ai débuté comme caissière à Auchan, ensuite j’ai fait l’accueil, le secrétariat. Aujourd’hui, je suis aux Grandes Gueules. Ce n’est pas impossible. Je refuse de croire que tous les noirs en France sont victimes d’un mauvais sort.
Le recueil « Alcools » de Guillaume Apollinaire a compté parmi vos marquantes lectures. Comment la littérature française a-t-elle contribué à forger vos convictions ?
La littérature n’a rien voir avec mes convictions. La littérature est une fenêtre par laquelle on s’évade. Avec Guillaume Apollinaire, j’avais l’impression en lisant ses poèmes qu’il me comprenait, pourtant, il n’était plus là depuis des années. Ma maman enseigne la littérature, elle m’a donné ce goût-là et on ne peut pas savoir à quel point les lieux sont réels jusqu’à ce qu’on les visite. Le pont Mirabeau, j’ignorais qu’il existait, j’ignorais que les fables de La Fontaine avaient un endroit qui leur était dédié. En me rendant compte que ces endroits sont réels, c’est comme un rêve qui devient réalité.
« Quand j’entends les discours de Rokhaya Diallo ou Jean-Luc Mélenchon, j’ai l’impression que ces gens détestent leur pays... »
Aujourd’hui, quelles sont vos attaches avec le Cameroun, que vous avez quitté il y a quatre ans ?
Ma mère et ma sœur sont toujours au Cameroun. Je n’ai pas rompu mes liens, mais une chose est sûre et indéniable, je suis arrivée en France en réussissant à m’assimiler. Au Cameroun, je n’étais pas complètement détachée de la France, car l’enseignement là-bas se base sur l’enseignement français. Molière, Flaubert, Prévert, Apollinaire... sont des auteurs que l’on étudie. La civilisation européenne y est très présente. Mon arrivée en France est la concrétisation de mon parcours académique.
La sécurité et l’immigration vont être des enjeux majeurs pour les Présidentielles 2022. Comment voyez-vous se dérouler cette campagne ?
En arrivant en 2017, avec l’élection d’Emmanuel Macron, j’ai compris que rien n’est jamais joué. Il y a toujours une surprise, une personne qui se déclare, se fait encenser. Beaucoup ont prétendu que la sécurité et l’immigration seront des thèmes centraux, mais avec ce qui s’est passé avec le Covid, des personnalités que l’on n’attendait pas comme Florian Philippot pourraient se trouver une place plus importante que prévu. Le futur candidat doit reconnaître que ce n’est pas la France qui a enclenché l’esclavage, même si elle y a contribué, c’est un fait. On ne doit pas oublier, mais on peut se servir du passé pour bâtir un meilleur avenir. Marteler que les noirs sont de pauvres victimes, je ne pense pas que cette parole d’évangile contribue à l’intégration des étrangers en France. Quand j’entends les discours de Rokhaya Diallo ou Jean-Luc Mélenchon, j’ai l’impression que ces gens détestent leur pays et c’est décourageant. Ce n’est peut-être pas le meilleur pays du monde, mais ce n’est pas en nous ramenant à 1792 qu’on sortira de l’impasse.