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Ruth Elkrief (Débat Présidentiel 2007, les coulisses) : « Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal ont été des candidats originaux à l’intérieur de leur propre camp »

Publié le 07/07/2021 à 16:34 Mis à jour le 07/07/2021 à 16:59

À l’occasion des 20 ans de Toutelatele, Ruth Elkrief s’est confiée sur un des événements de l’année 2007, à savoir le débat entre les deux tours de l’élection présidentielle entre Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal. A noter que lors de cet entretien, Ruth Elkrief évoluait sur BFMTV. Depuis mai 2021, elle a rejoint les rangs de LCI.

Toutelatele : Le 2 mai 2007, Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal s’affrontaient au cours d’un débat mémorable entre deux tours de la présidentielle. En tant que journaliste et experte politique, pouvez-vous nous resituer les enjeux de cet événement, menés à l‘époque par Patrick Poivre d’Arvor et Arlette Chabot ?

Ruth Elkrief : C’est un débat de deuxième tour important et intéressant parce que, malgré tout, la course n’est pas serrée. On s’en rend compte évidemment avec le score à la fin, mais les deux candidats sont très particuliers, ils sont tous les deux disruptifs et différents. Ils ont une originalité à l’intérieur de leur propre camp, et cela reste, malgré tout, une surprise qu’ils soient comme cela au deuxième tour l’un face à l’autre, et notamment Ségolène Royal bien sûr, première femme à être arrivée au deuxième tour d’une élection présidentielle sous la Ve République.

Quelle a été l’attitude des deux candidats lors de ce débat ?

C’est un débat très fort dans lequel il y a une très grande attente et où on voit le style de chacun avec beaucoup d’intérêt. Nicolas Sarkozy vient contredire les clichés sur lui-même. On l’attendait colérique, emporté, agressif, passionné, et on le voit calme, tempéré, répondant de façon assez prudente et modérée. En revanche, on voit Ségolène Royal s’emporter à plusieurs reprises, et donc là il y a, en quelque sorte, une scène à front renversé. Il se joue quand même pas mal de choses pour les électeurs, notamment ceux qui voient Ségolène Royal peut-être perdre ses nerfs à un moment donné.

« Il y a eu beaucoup de suspense et d’intérêt pour le débat Royal / Sarkozy »

Quels ont été les enjeux de ce débat ?

Ils ont été deux candidats originaux à l’intérieur de leur propre camp, parlant de thèmes très nouveaux. Ils avaient un style différent. Une femme, au deuxième tour, pour la première fois dans une élection présidentielle. Un candidat, Nicolas Sarkozy, qui succède en tous les cas à Jacques Chirac, mais qui n’était pas d’accord avec lui, pourtant du même parti. Il était en rupture avec Jacques Chirac, c’était son slogan. Donc, une campagne passionnante, pleine de rebondissements, avec des thèmes nouveaux dans lesquels Nicolas Sarkozy emprunte à la gauche, et Ségolène Royal à la droite. Il y a eu beaucoup de suspense et d’intérêt pour ce débat.

Après le non-débat entre Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen, qu’avez-vous pensé de ce retour en bonne et due forme du débat de la présidentielle ?

Même le débat qui a précédé entre Jacques Chirac et Lionel Jospin avait été considéré comme assez fade et peu intéressant. C’était donc le retour du duel politique dans toute sa splendeur, le retour des braiteurs politiques avec cette originalité : une femme est en face du favori puisque Nicolas Sarkozy arrive en tête. Et une femme pour la première fois sous la cinquième République qui représente la gauche.

« La colère exprimée par Ségolène Royal est prise pour une forme de faiblesse »

Le débat a été marqué par cet échange sur le handicap, Nicolas Sarkozy ayant soi-disant retiré le Handi’school, lancé par Ségolène Royal. Considérez-vous qu’il s’agisse du temps fort de la soirée ?

C’est là où en fait il y a ce malentendu. Ségolène Royal pense qu’elle doit montrer sa pugnacité, sa combativité, qu’elle a cette « saine colère » comme elle dit. Et en fait, c’est interprété après comme une façon de perdre son sang froid. Alors, si c’était un homme aurait-on raisonné de la même façon ? Je ne suis pas sûre. Il y a un facteur très subjectif. Peut-être qu’un homme en colère sur un sujet de façon un peu artificielle, parce que tout n’est pas joué bien sûr, mais tout est réfléchi, on aurait dit « tiens il a perdu ses nerfs ». En tous cas, la colère qu’elle exprime à ce moment-là est prise pour une forme de faiblesse. Mais un débat de deuxième tour, ce n’est pas celui du premier, et il ne sert pas à montrer son énergie, mais son contrôle, car on est déjà dans la posture possible du Président. Et on n’attend pas du Président qu’il se mette en colère. On attend qu’il maîtrise la situation. C’est là qu’il y a ce malentendu. Quand elle sort, elle pense qu’elle a gagné…

Comment considérez-vous l’influence d’un débat sur les téléspectateurs ?

Ce n’est pas là que tout bascule. Les avis de certains sont confortés. Parfois un débat peut convaincre ceux qui sont tentés, mais pas totalement décidés, car on voit un candidat qui a une très bonne maîtrise et des sujets et de la personnalité. Mais ça ne fait pas basculer quelqu’un d’un camp à l’autre. Je ne crois pas du passage de la droite à la gauche, ou de la gauche à la droite à l’occasion d’un débat.

« Quand Ségolène Royal sort du débat de l’entre-deux tours, elle pense qu’elle a gagné »

Le passage sur le bouclier fiscal a été un véritable tacle de la part de Nicolas Sarkozy envers l’époux de Ségolène Royal. Qu’en avez-vous pensé ?

Un tacle totalement en dessous de la ceinture ! Est-ce qu’il l’aurait fait à un homme ? Sur sa femme ? Je ne suis pas sûre. C’est un peu le jeu, cela fait partie de la politique, elle aurait dû anticiper. C’est le risque quand on a un couple aussi politique que Ségolène Royal et François Hollande. C’est un couple particulier, qui a vécu dans la politique. Parce qu’ils se soutenaient ou parce qu’ils ont fait une carrière ensemble… Mais c’est vrai que ce n’était pas très réglo.

À l’époque sur BFMTV, vous commentiez en direct le débat, sans avoir les images. Pouvez-vous revenir sur ce point ?

BFM TV était en croissance, et a existé vraiment à partir de cette campagne. Cela faisait deux ans que la chaine existait, mais elle a explosé à ce moment-là. Pourquoi ? Parce qu’on a inventé. On a innové. Présentateurs ou éditorialistes s’installent dans les meetings, commentent les arrivées, écoutent le discours, interviewent le candidat. On fait vivre un meeting comme une forme de spectacle politique. Ça n’avait jamais été fait. Depuis, toutes les campagnes se passent sur BFMTV, mais à ce moment-là on a innové.

« C’est la reconnaissance de l’audace »

Il y a eu un véritable coup médiatique de la part de BFMTV, avec la diffusion du débat entre François Bayrou et Ségolène Royal, et vous étiez à la présentation, avec Jean-Jacques Bourdin. Pouvez-vous nous en dévoiler les coulisses ?

C’est très intéressant, car en réalité BFMTV existe aussi grâce à ce débat parce qu’on démontre une forme de lâcheté des autres chaînes qui n’osent pas contrarier Nicolas Sarkozy en organisant ce débat. Tout le monde se recule, tout le monde s’interroge, se pose des questions. À BFMTV, nous sommes outsider. Nous venions d’intervenir, nous étions nouveaux sur la scène médiatique et nous avons montré que nous étions complètement libres. Nous pouvons organiser ce que nous voulons, nous sommes un média complètement libre. Et donc, Alain Weill (président de NextRadioTV), a vraiment saisi l’opportunité. La veille au soir, je suis dans un meeting de Ségolène Royal à l’autre bout de la France. Olivier Mazerolle et Jean-Jacques Bourdin discutent avec Alain Weill et les différents représentants des candidats. C’est une de nos opérations commando comme BFMTV en a fait beaucoup depuis, mais c’est la première opération qu’on fait et qu’on réussit parce que c’est un moment d’histoire.

Avec 700 000 téléspectateurs à 11 heures du matin, BFMTV a été propulsée instantanément sur le devant de la scène. Quel a été votre ressenti sur l’instant ?

On existe... C’est fait ! Nous étions rentrés dans la cour des grands. Alors, pas complètement bien sûr, mais, tout d’un coup, on existe. Cela fait deux ans qu’on reçoit des hommes politiques, qu’on organise des débats, des mini-débats, et d’un coup, on fait un évènement qui marque la campagne. Et donc, c’est une reconnaissance gigantesque, c’est la reconnaissance de l’audace, du risque, et c’est une de nos marques de fabrique depuis le début. C’est notre réalité. On est un acteur indépendant des médias, ni public, ni privé, ancien, mais jeune, et complètement libre. Avec des personnalités fortes qui ont un passé et une crédibilité. Et, en même temps, de jeunes journalistes vont sur le terrain, prennent des risques, sont en permanence derrière les candidats et innovent aussi dans leur manière de couvrir, d’aller vers les candidats, leur faire dire des choses.

Ces débats ont-ils bousculé les codes de la politique à la télévision ?

A partir de là, tout est possible. On n’est plus dans le cadre un peu fixe et rigide du débat du deuxième tour, avec les grands présentateurs, les grandes chaînes... On peut maintenant organiser toute sorte de débats. D’une certaine façon, on montre que tout le monde a le droit d’avoir une place dans le paysage. C’est un message démocratique en réalité, c’est un message sur la démocratie et sur la liberté médiatique.

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