Patrick Poivre d’Arvor, le roi de l’info
Il est à la télévision ce que François Mitterrand était à la politique : un personnage de roman. Patrick Poivre d’Arvor est à la fois journaliste et écrivain, star absolue du petit écran et homme avide de littérature, meurtri par la vie.
Depuis septembre 1987, il a présenté, devant parfois plus de dix millions de téléspectateurs, le journal le plus regardé de France. Directeur délégué à l’information de TF1 jusqu’à son éviction, il a appartenu aux piliers de la chaîne commerciale jusqu’à ce que le couperet tombe, le 8 juin 2008. Lui qui avait toujours gardé secrète la date de son dernier JT, lui l’indéboulonnable PPDA, a finalement été poussé vers la sortie, remplacé par Laurence Ferrari. Son adieu aux fidèles de sa grande messe se sera déroulé un jeudi 10 juillet, à la veille de vacances... Il confiait encore récemment : « Je rêve de gloire littéraire et pas de gloriole à la télévision ». Un signe du destin ?
Né le 20 septembre 1947 à Reims, il dit avoir voulu « comprendre le monde » depuis son plus jeune âge en posant questions sur questions à ses parents. L’actualité le passionne dès l’âge de 8 ans. Après des études à l’IEP et au Centre des Langues Orientales des Paris, il se lance dans la radio, sur France Inter, où on lui confie rapidement journaux et chroniques. En 1976, choisi par Jean-Pierre Elkabbach, Patrick Poivre d’Arvor fait ses débuts au Journal de 20 heures d’Antenne 2.
En 1979, il est nommé responsable de la politique intérieure sur la même chaine, où il accède à la rédaction en chef du Journal de 20 heures, alors présenté par Christine Ockrent. Il sera également aux commandes du journal de la mi-journée Antenne 2 Midi. En 1984, il finit par quitter La 2 pour Canal+, récemment apparue sur les écrans. Il y anime alors l’éphémère Tous en scène avant de rejoindre TF1, puis A la folie pas du tout, en 1987, un talk-show dominical dans lequel il reçoit des invités du show biz.
Juin 87 : TF1 tombe dans la nacelle de Francis Bouygues. Patrick le Lay et Etienne Mougeotte, à la tête de cette nouvelle « machine de guerre », cherche le nouveau visage du 20 heures. Leur choix se porte finalement sur Poivre, dit Poivre d’Arvor, dont le professionnalisme n’est plus à prouver. Septembre 1987 : il prend les rênes du 20 heures.
A partir de 1989, Canal+ lance Les arènes de l’info, qui deviendront par la suite Les Guignols de l’info. PPD, la marionnette de Patrick Poivre d’Arvor, a rapidement la place centrale. TF1 est taxée de télé de beaufs, le JT de 20 heures présenté comme racoleur et PPD, bien souvent ridiculisé... La rançon de la gloire !
Tout au long de ces années, des scandales viendront nuire à l’image de Patrick Poivre d’Arvor. Sa condamnation pour recel d’abus de biens sociaux dans l’affaire Botton, la polémique sur une interview de Fidel Castro (suspectée d’avoir été montée de toutes pièces), la primauté donnée à certains sujets « sensationnels » au détriment de l’analyse... Combien de journalistes auraient-ils pu « encaisser » de pareils coups sans voir leur cote d’amour s’effondrer ? « Tout ce qui ne nous tue pas nous renforce » est le credo de Patrick Poivre d’Arvor, qui tient bon la rampe, malgré les sarcasmes et les accusations. Il est le premier à défendre TF1, en dénonçant la « critique gratuite », même s’il avoue ne pas regarder les émissions diffusées avant 23 heures, faute de temps...
Au moment de l’affaire Botton, il a proposé de démissionner puis est revenu à l’antenne, à la demande de la chaîne elle-même, trop soucieuse de conserver son audience et « son » PPDA. D’ailleurs, ce dernier est le seul à imposer une émission littéraire sur la chaîne depuis 1988, ce qui relève, somme toute, d’un véritable exploit. Ex-libris est devenu Vol de nuit, mais la logique est la même : c’est à cette condition que l’homme peut continuer d’égrainer l’actualité quotidienne, devant des millions de téléspectateurs. Les livres, voilà sa vraie passion, loin des projecteurs aveuglants du 20 heures.
Et, si Vol de nuit n’a trouvé sa place que tard dans les nuits de TF1, sa chronique Place aux livres, sur LCI, a fait partie des rubriques phares de la chaîne, depuis sa création. Patrick Poivre d’Arvor a pu ainsi donner toute sa mesure à son plaisir de lecteur et d’interviewer. Lui-même est par ailleurs auteur d’une quinzaine d’ouvrages. Son roman L’irrésolu, a notamment reçu le Prix Interallié 2000. A chacune de ses sorties, les ouvrages du journaliste écrivain caracolent en tête des ventes.
Patrick Poivre d’Arvor cultive à souhait son image de séducteur immodéré, à l’étrangeté inquiétante, poète de l’ombre et témoin de son temps, en pleine lumière. Mais c’est par sa vie personnelle, jalonnée d’événements tragiques, que s’explique en grande partie la densité de son personnage. En janvier 1995, l’homme avait ému la France entière en présentant la grand-messe du 20 heures, au lendemain du suicide de sa fille, Solenn. Elle n’était pas d’ici et Lettre à l’absente, les deux livres dédiés à la mémoire de celle-ci, ont instauré un lien intime entre Patrick Poivre d’Arvor et ses téléspectateurs. Celui qui affirme dans son roman, « Séduire, c’est ne pas mourir. C’est vivre dans le regard des autres », a un besoin impérieux d’écrire ses drames, ses douleurs, et de les faire partager au plus grand nombre. Au-delà de ces récits « intérieurs », il signe aussi des ouvrages historiques et photographiques avec son frère, Olivier. Avec ce dernier, il envisage maintenant de se tourner vers le cinéma.
Après avoir résisté à toutes les concurrences, d’Hervé Claude à Bruno Masure en passant par Daniel Bilalian, Paul Amar, Etienne Leenhardt, Claude Sérillon et David Pujadas, Patrick Poivre d’Arvor n’a pas senti le vent tourner au sein même de sa « maison », apprenant son remplacement par la presse ! Malgré les milliers de lettres de soutien, le présentateur ne sera plus face aux Français en septembre 2008. Nonce Paolini, directeur de TF1 depuis 2007, a choisi de tourner définitivement la page du TF1 historique.