Denis Alamercery (Showrunner de Tropiques criminels) : « On cherche le plus gros coup de théâtre possible à chaque fin d’épisode »


Denis Alamercery est le showrunner et le directeur de collection de Tropiques criminels , dont la saison 6 est diffusée chaque vendredi en prime time sur France 2. Pour Toutelatele, il revient sur la construction de la série portée par Sonia Rolland et Béatrice de La Boulay.
Valentin Delepaul : Comment se prépare l’écriture d’une saison de Tropiques criminels ?
Denis Alamercery : On fait un peu comme tout le monde et comme ce que je faisais sur les autres séries, c’est-à-dire qu’on établit déjà une liste de choses qu’on voudrait faire en polar, qu’on n’a pas encore fait. Pour les arches, on cherche également en discutant avec Sonia Rolland et Béatrice de La Boulaye des choses qui pourraient leur parler, leur plaire, pour les nourrir. On nourrit plus les personnages et les comédiens à travers les arches qu’à travers les enquêtes policières. Le polar, c’est toujours une mécanique assez classique. Donc, c’est vraiment quand on va chercher dans les personnages qu’on trouve des choses. On prépare en discutant un peu tous ensemble : la production, les comédiennes, mais aussi avec Éric Eider et Ivan Piettre, les créateurs de la série, qui reviennent parfois écrire des épisodes. C’est un travail d’équipe où on cherche à faire des choses qui pourraient renouveler les histoires sans modifier fondamentalement la série.
Comment se construit un épisode de Tropiques criminels ?
On fait différentes choses : de l’enquête classique avec plusieurs fausses pistes qu’on enchaîne, ou une seule piste qu’on suit du début à la fin. On essaie de ne pas être trop focalisé sur ce qu’on a déjà fait et les idées viennent. On a des autrices martiniquaises avec des idées très ancrées avec les couleurs locales puisqu’elles le vivent au quotidien. On a du polar plus traditionnel. On n’a pas de parti pris et de choses sur lesquelles on se braque. On ouvre complètement en début de saison sur tout ce qu’on pourrait faire.
Avez-vous une bible avec l’historique de la série et des personnages ?
Oui, on a une bible avec notamment le résumé de tous les épisodes qu’on a fait. En plus, à part les producteurs, personne n’est là depuis le début. Il faut bien qu’on ait une trace écrite sur laquelle on peut s’appuyer pour ne pas reproduire les mêmes choses. Si c’est le même mécanisme, on essaie de le faire différemment.
« On travaille dans la détente et l’humour vient naturellement »
De quelles façons Sonia Rolland et Béatrice de La Boulaye peuvent-elles intervenir sur l’élaboration du scénario ?
Elles interviennent soit au tout début en demandant des choses qui leur feraient envie de jouer, qu’elles n’ont jamais faites, soit à la lecture des textes. Elles interviennent également sur les dialogues et sur la façon dont leurs personnages peuvent réagir de façon plus crédible ou plus intéressante pour elles.
La série mélange polar et comédie. Comment avez-vous l’idée des effets comiques ?
Ça sort tout seul. J’ai pris le relai d’Éric Eider et Ivan Piettre, qui ont une sacrée dose d’humour. Je suis plutôt enjoué, j’aime rire, donc j’ai suivi le mouvement. On a une bonne équipe d’auteurs, la comédie vient assez aisément et les personnages en plus s’y prêtent. Les gens demandent de plus en plus de comédie. Les deux comédiennes sont relativement drôles tout comme leurs personnages. Le commissaire et Phil, le médecin légiste, sont aussi des personnages qui ont été créés pour être des personnages comiques. Tout cela découle naturellement, c’est un peu comme pour le polar. On travaille dans la détente et l’humour vient naturellement.
Quelles ont été les directives de cette saison 6 de Tropiques criminels ?
Les directives sont divertissement et plaisir. Il n’y a pas grand-chose de plus, on est vraiment très libre. Quand on commence la saison, on ouvre vraiment tout. Le but, c’est vraiment se faire plaisir, faire plaisir aux comédiens pour que les gens, derrière leur écran, sentent qu’on s’est amusé et que eux s’amusent aussi. On reste toujours avec ces personnages qu’on ne va pas révolutionner, mais on écrit vraiment de façon libre.
Est-ce que France 2 intervient dans l’écriture des scénarios avec des demandes particulières ?
Non, ce n’est pas arrivé depuis que je suis là et ce n’est pas arrivé avant non plus. France Télévisions nous fait une confiance totale, elle nous laisse une liberté absolue. Ça marche très bien avec eux aussi. C’est vraiment un travail d’équipe de A à Z. On envoie les textes à Julia Girot-Benedetti, conseillère de programmes fiction chez France Télévisions. On lui envoie les pitchs, les synopsis, les séquenciers et les dialogues. On a des retours dont on tient compte bien évidemment, mais qui sont toujours positifs. Je crois qu’on n’a jamais eu un seul retour négatif.
« France TV nous fait une confiance totale, elle nous laisse une liberté absolue »
À chaque fin d’épisode, il y a un rebondissement. Comment procédez-vous pour tenir en haleine le téléspectateur ?
C’est presque le plus simple, car c’est la mécanique qu’on a aussi à chaque fin d’acte. Ce n’est pas systématique, on le fait en fin d’épisode, on ne le fait pas forcément en fin de saison, ça dépend. On cherche le plus gros coup de théâtre possible de l’épisode. Quand on fait les arches, on découpe en général le coup de théâtre de fin d’épisode, comme on découpe un polar. On fractionne en autant de parties qu’il y a d’épisodes et on fait à chaque fin le coup de théâtre qui donnera envie de revenir pour voir ce qu’il va se passer.
Dans l’épisode 5 de cette saison de Tropiques criminels , une influenceuse se fait tuer. Est-ce une volonté de surfer sur des sujets modernes ?
On a des auteurs qui sont plus jeunes que d’autres et qui ont envie de traiter naturellement de sujets d’actualité. L’influenceuse, c’est un sujet qui nous a plu parce qu’en plus, cela fait un contraste avec le côté local et les paysages idylliques de la Martinique. Il y avait eu aussi en saison 4 le concours des Mister France. Parfois, il y a des sujets comme ça, qui matchent très bien avec les héroïnes et la Martinique.
Comment expliquez-vous le succès de la série ?
Le succès est le reflet du travail qu’on fait. Si j’avais un mot pour définir, ce serait sincérité, parce qu’en fait, nous, on bosse vraiment librement, en faisant les choses qu’on a envie de faire, en s’amusant. C’est ce qu’on propose aux comédiennes, c’est ce qu’elles font ensuite. Je pense que les gens sentent à travers ça qu’il y a vraiment une forme de plaisir, de sincérité, d’amour du public, de la Martinique, du polar et de la comédie.
« Même quand Gaëlle et Mélissa deviennent plus amies, elles continuent à se vouvoyer »
Pourquoi Mélissa et Gaëlle continuent-elles de se vouvoyer ?
C’est un grand sujet. Elles continuent pour une seule et unique raison : Mélissa est commandante et officier supérieur. Elle tient à garder cette distance hiérarchique. C’est pour cela qu’elle vouvoie tout le monde et que tout le monde la vouvoie. Même quand Gaëlle et Mélissa deviennent plus amies, elles continuent à se vouvoyer.
Le fait d’écrire pour une série où ce sont deux femmes flics, ce qui est rare, change-t-il la donne ?
Non, Éric et Ivan avaient très bien défini les personnages dès le début. Elles ont vraiment chacune leur caractère, leur façon de faire, leur façon d’être. Chacun a son rôle et il n’y a aucun problème de ce côté-là.
Travaillez-vous sur d’autres séries actuellement ?
Non, pour l’instant, je me concentre sur Tropiques criminels. Je lève un peu le pied parce que j’ai fait beaucoup de choses en même temps pendant pas mal de temps. Et là, j’ai besoin de souffler un peu et de prendre du repos.