Jérémy Ferrari : « L’ensemble de mon œuvre me vaut un florilège d’insultes »
Depuis sa participation à « On n’demande qu’à en rire », Jérémy Ferrari multiplie les succès. Celui qu’on surnomme le prince de l’humour noir joue d’ailleurs les prolongations, jusqu’en mai 2014, avec son spectacle qui passe au crible les religions, « Hallelujah bordel ! ». Les plus férus peuvent également se le procurer en DVD (France Télévisions Distribution) et le compléter avec le livre illustré paru au Passeur Éditeur). Avant de le retrouver pour parler télévision avec, entre autres, Touche pas à mon poste, Jérémy Ferrari revient sur l’incroyable parcours de son spectacle.
Jérôme Roulet : Quelles différences y a-t-il entre vos deux spectacles, « Hallelujah bordel ! » et « Les 7 pêches capitaux » ?
Jérémy Ferrari : On crée souvent une corrélation avec ces deux spectacles, mais il n’y a pas vraiment de lien, si ce n’est de par leur thème, la religion. Dans « Les 7 péchés capitaux », je parlais un peu de la Bible et du Coran, que je commençais à lire. Quand ce spectacle s’est arrêté, j’ai décidé d’en faire une nouvelle version. Peu avant la première, on m’a volé mon ordinateur portable avec tous mes textes. J’ai dû tout réécrire de tête. Sauf que dans cette démarche, j’ai écrit un tout autre spectacle.
Pourquoi avez-vous choisi d’aborder les religions ?
J’ai toujours cherché à aller là où les autres n’allaient pas. Personne n’a amené la Bible, le Coran et la Torah sur la scène, ni en France, ni même à l’étranger. Le support était original et ça m’intéressait. Je voulais faire chier là où on peut atteindre. J’ai donc fait 1h30 sur la religion en abordant tous les thèmes que j’aime, à savoir la misogynie, l’homophobie, le racisme, et ce, en allant à la genèse des maux de notre société.
Écrivez-vous l’ensemble de vos textes en solo ?
Je suis suffisamment dur avec moi-même pour ne pas avoir besoin d’un co-auteur. J’ai énormément travaillé ce spectacle pour avoir une efficacité. Les gens sont là pour se marrer et j’ai essayé de faire en sorte qu’il y ait une vanne toutes les quatre secondes pour ne pas ennuyer ceux que la religion pourrait lasser. Ce spectacle est grand public et peut avoir plusieurs lectures. Si vous êtes spécialiste en la matière, vous allez saisir plein des clins d’œil et des références. Si vous êtes simplement croyants, vous allez retrouver votre religion et vous rendre compte des similitudes avec d’autres. Et si vous êtes athée, c’est l’ensemble du spectacle qui vous fera marrer, car vous allez tout prendre avec du recul et vous allez aussi apprendre des choses.
Sur votre site, vous proposez une boite mail pour les compliments et une autre pour les insultes. S’attaquer aux religions vous a-t-il valu des menaces ou la colère de certains groupes ?
L’ensemble de mon œuvre me vaut un florilège d’insultes, c’est formidable. [Rires.] Le spectacle m’a causé quelques petits soucis, mais ce n’est pas grave. Les personnes qui ont pu m’insulter ou me menacer par écrit ou physiquement ont toujours été des extrémistes ou des gens assez débiles. Mais j’ai assez peu de problèmes par rapport aux propos que je tiens. Ça prouve qu’on est encore dans un pays libre. Et ceux qui n’ont pas de recul restent, heureusement, en minorité. Les communautés religieuses sont beaucoup plus ouvertes qu’on ne le pense. Après, quand je fais une blague sur les blacks et que l’association anti-negrophobe arrive pour me dire que je suis un raciste, je ne vais pas leur expliquer que c’est un sketch. D’autant plus quand je le fais en duo avec un black… [Rires.] S’ils n’ont pas compris eux-mêmes, tant pis.
« Je me suis énormément battu pour ce spectacle, car personne n’y a cru »
Votre spectacle s’ouvre directement avec une allusion à Arnaud Tsamère, un tacle à Babasse etc. Est-ce un jeu entre vous ?
Égratigner mes amis, insulter mes proches et ma mère reste mon plus grand plaisir ! Dès que je peux le faire, je le fais... Alors quand certains me menacent… Ils n’ont qu’à comprendre que si je suis capable d’insulter ma propre mère, rien ne m’arrêtera ! [Rires.] Mais j’ai besoin de ces gens qui ne m’aiment pas, sinon je n’existe pas. Je suis là pour provoquer...
Sur votre DVD, en guise de remerciements, vous indiquez « Je ne dois rien à personne ». Quelle en est la signification ?
J’ai indiqué également : « Écrit, mis en scène et interprété par Jérémy Ferrari, et il vous emmerde ». [Rires.] Tout est exagéré évidemment, mais il y a quand même une part de vrai : j’ai fait 95% du boulot tout seul. Actuellement, je reprends une part de la production de mon spectacle, car je m’aperçois qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même. J’ai d’ailleurs l’impression d’être condamné à faire les choses par moi-même, si bien que c’est rare que l’on m’appelle pour du boulot. [Rires.] Mais ça m’amuse beaucoup. C’est une manière de dire « On n’est pas venu me chercher quand je n’étais personne, et je ne suis pas dupe de ceux qui viennent me chercher quand je suis quelqu’un ».
Partie 2 > Le rapport avec les fans et le livre Hallelujah bordel
On ressent que « Hallelujah bordel » est vraiment votre bébé…
C’est vrai. Je me suis énormément battu pour ce spectacle, car personne n’y a cru. Certains m’ont aidé, mais ils n’ont pas été nombreux. Quand ça a commencé à marcher à la télévision, beaucoup de producteurs sont venus me chercher en me disant « On te produit, mais tu changes de spectacle ». J’ai refusé des conforts financiers dont j’avais énormément besoin à l’époque. Tout le monde m’a dit que je faisais l’erreur de ma vie et qu’il n’aura jamais de succès en salles. Ce spectacle est une vraie proposition artistique, on aime ou pas, mais je ne me fous pas de la gueule des gens.
À la fin du spectacle, vous dites que ce ne sont pas les décideurs qui ont décidé, mais le public qui vous a permis cette liberté d’expression. Vous a-t-on déjà censuré ?
Le mot censure est très fort... Il y a eu des « Je ne suis pas sûr qu’il faut que tu dises ça ». Quand on débarque sur France 2 à 18 heures (dans On n’demande qu’à en rire, ndlr) et qu’on n’est personne, on compose. Ce n’est pas de la censure, ce n’est pas baisser son froc, c’est être malin. On ne peut pas arriver en face d’un public en disant « Oui bonjour, je crois qu’Hitler n’a pas dit que des conneries ». Il faut d’abord convaincre le public, se mettre les gens dans la poche et, au fur et à mesure, on peut aller plus loin. Comme ce que je fais dans Touche pas à mon poste : j’ai démarré avec des choses plus douces... Puis, je durcis le ton au fur et à mesure pour permettre au public de s’adapter.
Vous avez une importante communauté de fans. Vous servez-vous des réseaux pour vous aider dans votre travail ?
Les réseaux sociaux sont une réalité de communication extrêmement importante qui va continuer. C’est très important pour moi d’être proche des gens. Après il y a boire et à manger sur internet, il faut faire la part des choses, surtout sur Twitter. Mais ça permet d’avoir des tendances et des avis. Je ne parle pas de trente connards qui vont poster cinq fois « Ferrari ta gueule, on te déteste ! », mais ceux qui ont des arguments sur les sketchs. Quand je sens que quelque chose revient régulièrement, j’en prends compte. Il ne faut pas s’éloigner du public, c’est lui qui vous fait manger.
Parallèlement au spectacle, vous avez sorti le livre Hallelujah bordel. Comment vous en est venue l’idée ?
En écrivant ce spectacle, j’ai fait un travail journalistique en lisant des articles de presse, des déclarations, etc. J’avais donc beaucoup de matière inédite que je n’avais pas pu utiliser. J’ai alors réfléchi pour en faire un livre illustré, inspiré du spectacle, et mêlant textes et dessins. J’ai évoqué l’idée avec un ami qui venait de monter sa société d’édition. Mais je voulais trouver un dessinateur avec un univers de dingue. J’étais prêt à attendre trois ans. Et quand on m’a présenté Ludovic Févin, je suis tombé amoureux de ce génie ! Il ne me connaissait pas, il est venu voir le spectacle et notre collaboration a été tellement productive qu’on a tout fait en six mois. Il dessinait ce que j’imaginais. Il a apporté une énorme plus value à ce livre. Je suis très rarement content de mon travail, mais je trouve ce bouquin magnifique, c’est une œuvre d’art pour moi… J’espère même pouvoir toucher un autre public, des gens qui ne me connaissent pas et qui ont été attirés par la couverture.
« Il faut être un peu kamikaze pour me laisser à l’antenne »
Les personnages de ce livre n’ont pas de bouche. Est-ce une volonté de votre part ?
C’est quelque chose de typique du dessinateur et ça tombait plutôt bien comme le livre parle de religion, il y a une symbolique du tabou... Et d’habitude, ses personnages n’ont même aucune émotion sur le visage. Je lui ai simplement demandé d’en ajouter un peu, en cassant ce code pour l’efficacité humoristique du dessin.
Dans la livre, Laurent Ruquier conclut sa préface avec la phrase « Il n’y a pas que dans les cimetières qu’il faut savoir faire des concessions ». Comment l’avez-vous perçu ?
[Rires.] C’est pour me dire qu’il ne faut jamais que je me laisse censurer, qu’il faut toujours que je me batte. Laurent Ruquier s’est d’ailleurs beaucoup battu quand on a voulu me couper des choses. Et je ne le remercierai jamais assez pour ça ! Il faut être un peu kamikaze pour me laisser à l’antenne. Ce que fait d’ailleurs Cyril Hanouna. On l’a critiqué, mais il n’y en a pas cinquante qui ont eu les couilles de me mettre à l’antenne en direct en me disant « Fais ce que tu veux »
Dans cette même préface, Laurent Ruquier souligne également « quelques excès et autres erreurs de jeunesse ». De quoi veut-il parler ?
Je fais parfois les choses sur un coup de tête... Il a vu 150 de mes sketchs et tous n’ont pas été bons. [Rires.] Avec Laurent, on est assez amis. Il m’a vu grandir médiatiquement et artistiquement. Je prends beaucoup de conseils auprès de lui, et j’aime avoir son avis.