Arnaud Poivre d’Arvor
Les Français sont friands de ces émissions retraçant des enquêtes criminelles si bien que les chaînes les multiplient : Faites entrer l’accusé (F2), Disparitions (TF1), Non élucidé (F2)... Aux commandes de cette dernière, Arnaud Poivre d’Arvor fait son retour avec un nouveau numéro consacré à l’affaire Marine Boisseranc. Pour Toutelatele.com, il revient sur les dessous de son magazine...
Tony Cotte : Non élucidé revient pour une nouvelle salve sur France 2 quelques jours seulement après la diffusion de Disparitions sur TF1 dont la présentation, sur le papier, est proche. Avez-vous regardé le programme de la concurrence ?
Arnaud Poivre d’Arvor : Il est effectivement important de préciser « sur le papier », car les deux émissions n’ont, au final, pas grand-chose à voir. J’ai vu que l’audience de Disparitions n’était pas au rendez-vous, mais je ne jetterai pas la pierre pour ça, cela reste extrêmement difficile. En revanche, sur le fond, le fait d’avoir choisi trois sujets est différent de nous puisque nous racontons une seule histoire par numéro. De ce fait, la construction de l’émission de TF1 est plus classique. Leur principale difficulté est, je dirais, de raconter plusieurs disparitions alors qu’il manque forcément beaucoup d’éléments à ces affaires.
Lors des débuts de Non élucidé, vous aviez comme objectif de faire « avancer les choses ». Les premières émissions ont-elles permis de provoquer de nouveaux témoignages ?
J’ai eu les services d’enquête au téléphone et les retours de la dernière affaire traitée, celle de Christelle Blétry, sont très positifs. La DIPJ de Dijon, en charge de ce cas, a reçu des nouveaux témoignages de personnes qui, avant la diffusion de l’émission, n’avaient pas osé s’exprimer estimant que leur déclaration serait inutile. De nouvelles pistes ont ainsi été envisagées. Cela reste notre moteur et prouve que Non élucidé est utile.
Le vivez-vous comme une satisfaction sur le plan personnel ?
Ca me fait forcément plaisir de voir que des petits événements se produisent autour de l’enquête après diffusion et que les familles sont plus écoutées. Il s’agit aussi d’une double satisfaction : j’ai eu des retours de policiers et gendarmes contents de la façon dont on a pu remettre les éléments en perspective.
Ce dimanche 7 février, Non élucidé est consacré à l’affaire Marine Boisseranc. Pour ce cas, il n’y aurait pas la moindre ADN ni empreinte digitale. N’est-ce pas inquiétant à l’heure où l’on met en évidence les progrès de la police scientifiques autant dans les fictions que les documentaires dans lesquels on peut voir qu’à partir d’un élément imperceptible à l’œil nu il est possible de remonter très loin ?
En réalité, dans cette affaire, il y avait trop d’ADN puisque la scène du crime a eu lieu dans le salon de la victime. Une trace de pas ensanglantée a cependant été relevée, mais ce cas de figure n’est pas si étonnant. Il y a un fantasme avec toutes ces séries télévisées comme Les Experts et leurs résolutions trop optimistes. Comme dirait Jean-Marc (Bloch, ancien patron du SRPJ de Versailles présent dans l’émission, ndlr), « il ne faut pas croire qu’un cheveu résout une affaire ». L’auteur du crime a également pris de nombreuses précautions, et c’est aussi ça le danger des fictions policières...
Si aujourd’hui on se retrouve avec d’innombrables émissions du genre, vous avez toujours appuyé le fait que votre démarche était différente, puisqu’il s’agit exclusivement de crimes non résolus avec, comme objectif, de « lutter contre l’oubli ». En revanche, peut-on parler d’une réalisation un peu plus commune sur la forme avec ses nombreux effets dramatisants...
Il y a un danger à multiplier ce genre d’émissions, mais le téléspectateur est capable de les différencier dans leur approche. Nous sommes très fiers de la réalisation de Non élucidé, on se démarque même particulièrement de la concurrence à ce niveau. Notre mise en image, que l’on assume pleinement, est une fierté. On fait quand même de la télévision. On doit raconter une histoire au téléspectateur de la façon la plus claire possible. Le côté dramatique est inévitable, mais on respecte la douleur des familles et nous restons dignes de notre approche.
En quoi votre démarche est-elle plus « digne » que celle des autres programmes du genre ?
Nous, nous ne tombons pas dans le pathos. Voir des gens qui pleurent, ce n’est pas ce que nous voulons. Nous n’allons pas interviewer le père ou la mère d’une victime dans le cimetière où est enterrée celle-ci par exemple.
Ne craignez-vous pas qu’une partie du public considère Non élucidé comme une émission qui, sous prétexte d’un fond sérieux, se permet, sur sa forme, des fantaisies comme les plans des interlocuteurs qui posent à la façon d’un générique de fiction ?
Cela m’intéresse de produire et travailler avec des réalisateurs qui amènent une patte marquée et assumée. Certains parleront d’artifices, mais nous essayons de trouver des éléments élégants, plutôt que de faire des plans serrés sur les yeux des interlocuteurs, ce qui, pour le coup, a été fait 300 fois. On a pour ambition d’avoir un mode de présentation différent, sans pour autant vouloir se rapprocher de la fiction.
Que pensez-vous de l’actualité judiciaire et, particulièrement, de la récente mesure qui vise à aggraver les sanctions pénales des agresseurs de personnes âgées juste après le double meurtre du couple de retraités dans l’Oise ?
Je ne veux pas forcément me prononcer sur cette mesure-là, mais, de manière générale en France, et je ne condamne aucun clan politique en particulier, on intervient a posteriori. Mais le plus dommage reste la prescription. Si 10 ans après le dernier acte d’enquête il ne se passe rien, l’auteur des faits peut revenir, se manifester et il ne risquera plus rien. C’est particulièrement inquiétant. Aux États-Unis, il n’y a pas de prescription. Ici c’est le cas des crimes contre l’humanité, pourquoi les crimes de sang n’auraient pas droit au même traitement ? Ça, c’est un vrai problème.
Qu’en est-il du Arnaud Poivre d’Arvor producteur ?
Je travaille activement à l’adaptation du format anglais Who do you think you are ? pour France 2. L’idée est de programmer deux épisodes de 60 minutes en prime time. Sur la forme, le programme sera de l’ordre du documentaire à travers lequel on s’intéresse à une personnalité et on remonte son arbre généalogique sous forme d’enquête. C’est un voyage dans le temps et dans l’espace qui nécessite énormément de travail en amont. La version américaine de l’émission va débarquer prochainement sur NBC.
Vous évoquiez, fin 2008, un projet d’une émission sur l’Histoire avec Stéphane Bern...
C’est mis de côté. Il est parti sur son émission quotidienne et il reviendra cet été avec Secrets d’Histoire. Mais en télévision il est fréquent d’avoir des projets qui stagnent longtemps pour mieux repartir... ou pas !