Olivier Ghis (Journal du hard) : un réalisateur stylé
Le X a souvent devancé l’idée que notre société se fait de la beauté. Pour le prouver, le rédacteur en chef du « Journal du hard » a signé « A poil mais stylé », un documentaire de 52 minutes dans lequel il revient, notamment, sur la pornification de la société et l’évolution du Style. Pour Toutelatele, il retrace une partie de l’histoire de nos mœurs et évoque, entre autres, les récents cas Miley Cyrus, Nabilla et Zahia.
Tony Cotte : Le sujet d’ « A poil mais stylé » aurait pu s’inscrire dans le Journal du hard. Pourquoi en avoir fait un 52 minutes ?
Olivier Ghis :Il y avait beaucoup à dire. Ce format était l’occasion de faire le tour de la question de manière approfondie et amusante. Si on regarde dans le détail : les premiers strings, les premières épilations, les premiers faux seins... tout ça vient du porno. Il y a déjà beaucoup à dire juste sur le plan sociologique et l’influence du cinéma X sur la société. Et si on regarde plus en arrière encore, on retrouve des évolutions sociales dans le X et inversement. Ça peut être les dessous chics, la fascination vers l’interracial ou encore Ibiza.
De quelle manière ce milieu a participé à la popularité d’Ibiza ?
Le culte d’Ibiza a été repris et généralisé par le porno. En 1965, si vous parliez de cette destination à quelqu’un en France, ça ne voulait rien dire. La vague du sea, sex & sun est passée par Ibiza, Miami et Los Angeles. Par la suite, on a assisté au développement de l’industrie musicale et du DJing. Il y a certes plusieurs facteurs qui ont contribué à la popularité de cette île, mais ce n’est pas anodin si elle est considérée comme un lieu sexy.
Vous affirmez également que les tatouages viennent de la pornographie...
La vogue des tatouages ou du percing y est apparue en premier lieu. Le porno a filmé des gens qui voulaient singulariser leur corps. Des gens qui vivent le X comme une rébellion. Pour beaucoup d’Américains, faire du porno, c’est participer à une contre-culture. J’en ai vu qui se déplacent en Harley et qui lisent Kerouac sur les tournages. Certes, il y a aussi des nanas qui viennent juste pour le fric, on est bien d’accord. Mais pour 60% d’entre eux, la démarche consiste à emmerder un ordre ambiant, une société qui reste puritaine et rétrograde. Dans un monde où on achète la même chemise, que l’on voyage sur la même compagnie low cost que son voisin et où l’on boit tous la même flotte, la seule différence que l’on peut faire est sur son corps. D’où la difficulté pour les réalisateurs de trouver une personne qui n’est pas tatouée.
« Pour se prendre au sérieux dans le X, il faut vraiment être con »
Vous bénéficiez de l’expertise de nombreux interlocuteurs dans A poil, mais stylé, dont Ovidie, Axel Braun ou encore Francis Mischkind. Avez-vous rencontré des difficultés à trouver des intervenants compte tenu du recul exigé par le thème de votre documentaire ?
Pas vraiment. Ce sont des gens qui prennent du plaisir à parler de leur métier. Ils constatent qu’il est difficile de recruter une fille sans qu’elle n’ait une salamandre sur l’épaule, un dauphin sur le nombril ou une araignée sur le bras gauche. Eux-mêmes se posent des questions : « Comment ça se fait qu’une fille sur deux ait les seins refaits ? » « Qui lui a demandé ? »... Et puis, ce sont des gens qui ne se prennent que rarement au sérieux. De toute façon, pour se prendre au sérieux dans le X, il faut vraiment être con. C’est un métier qui est tellement l’objet d’un certain opprobre général, tout en étant très populaire et très goûté, qu’il est difficile d’être premier degré. Ils ne contribuent pas seulement à une forme d’admiration, car il y a toujours quelqu’un dans la journée ou dans la semaine pour leur dire « Tu fais du cul, tu fais de la merde ».
A poil, mais stylé s’offre un déplacement à Los Angeles. L’occasion de comprendre que cette ville est un endroit clé dans le milieu de la pornographie...
80% des films X qui sont produits dans le monde, sont faits aux États-Unis, dans la porn valley. À partir du moment où ils adoptent des codes comme le tatouage, le piercing ou la chirurgie esthétique, ça se généralise et se développe progressivement dans la société américaine. Et celle-ci reste un vecteur d’influence sur le reste du monde. Ça changera peut-être en termes de mode et comportement, mais ce n’est pas pour demain. Il suffit de voir le nombre d’Asiatiques qui se font débrider les yeux et les ravages des crèmes blanchissantes pour la peau en Afrique. L’influence de l’occident reste importante. Et qui dit occident, dit sa tête de pont, les États-Unis.
Les mouvements de rejet existent-ils dans cette industrie ?
Il y a des allers-retours. La pornographie a généralisé les poitrines refaites et aseptisé le corps en faisant en sorte que toutes les femmes soient épilées, même si la vogue de l’épilation a émergé avec le sida qui a « hygiénisé » les corps. Aujourd’hui, on assiste aux mouvements inverses : il y a un retour du poil et des seins naturels. On est allé trop loin dans l’artifice ; la poupée gonflable, ce n’est plus possible. Les stars qui arrivent sur le marché n’ont pas de tatouage, ou alors il est discret. Ça s’inscrit dans une mode un peu green où il faut être plus proche de la nature. Là encore, elle est partie des États-Unis et de l’Allemagne pour s’imposer dans le monde entier. Les gens aiment ce qui fait rêver, mais aussi quand la relation devient possible. Ça alimente le fantasme. La Tchèque ou Américaine parfaite, on ne la croise pas dans un rayon au Monoprix.
Un des intervenants d’ « A poil mais stylé » évoque l’influence de Britney Spears ou encore Paris Hilton dans cette « pornification » de la société. Peut-on dire que la pop et porn culture sont intrinsèquement liées ?
La pop culture s’est pornifiée avec l’évolution des mœurs, une meilleure accessibilité de la pornographie et par intérêt bien compris. Il y a une instrumentalisation de l’entertainment : le scandale et le fantasme sont les meilleurs moyens de faire progresser ou modifier l’image d’une personnalité. Si vous êtes une starlette du cinéma ou de la télé-réalité, il suffit de poster des photos presque à poil sur tumblr, comme Rihanna, et ça marche. Les ressorts sont d’une facilité enfantine. Et ça fait des années que c’est comme ça : déjà dans les premières pubs André Citroën, on trouvait des femmes accostées aux calandres des voitures.
Que vous inspire le récent cas Miley Cyrus ?
Elle a été chanteuse et actrice pour Disney Channel il y a moins de dix ans ; elle avait l’air gnangnan. Son dernier clip pourrait avoir un classement X. Il est très bien d’ailleurs, on y trouve des influences du surréalisme et des éléments très très cul. Ce n’est pas anodin : au moment où elle quitte l’adolescence, si elle veut trouver une crédibilité vers un public plus âgé et gagner du terrain, elle doit se diriger vers le cul. Au moins, on peut dire qu’elle n’a pas fait semblant !
« Nabilla c’est une pornstar qui n’a pas couché devant une caméra »
Vous évoquiez la télé-réalité. Quand on voit des filles comme Nabilla, n’est-ce pas évident que les candidates jouent de plus en plus sur les codes du porno ?
Nabilla c’est une pornstar qui n’a pas couché devant une caméra. Il n’y a rien de plus obscène que la télé-réalité. Le genre est même plus obscène que le porno. À un moment donné, le cinéma X dit ce qu’il est, alors que dans ces émissions, on est dans le non-dit. Quand on commence il y a dix ans avec une Loana qui se fait prendre dans une piscine, ça ne pouvait pas en être autrement. Les gars et les filles qui participent à ces émissions ont, pour la plupart, des corps de désir. La silhouette de Nabilla, c’est avant tout un objet de désir et on l’a recrutée pour ça. Il faut voir la bande-annonce des Anges de la télé-réalité : c’est un concours de t-shirt mouillé.
La relation entre la mode et la sexualité est l’objet d’une analyse dans « A poil mais stylé ». Quel regard portez-vous sur certains acteurs majeurs de ce milieu séduits par des Nabilla ou Zahia ?
C’est de l’ordre de l’inconscience. Zahia a gagné sa vie, malheureusement pour elle, à 15/16 ans en allant frayer dans l’arrière-cour des boites de nuit et en reniflant bien où était l’argent. En voyant le compte Facebook de Zahia, la moitié des photos viennent de Dubaï où elle passe en réalité des nuits à 15 000 balles avec des émirs. Elle a réussi le tour de passe-passe en parlant d’un passé de « courtisane » alors qu’elle s’est juste comportée en pute. On peut comprendre son histoire et lui pardonner, mais pas en faire un modèle de comportement à donner à des jeunes femmes. Le fait que des entreprises de mode et qu’un Karl Lagarfeld la trouvent piquante, ça dit tout le cynisme de ces gens-là. Ils ont utilisé son aura de scandale pour attirer l’attention sur leur marque et une image « rock ». La mode, malheureusement, c’est ça.
Comment expliquez-vous cette quête perpétuelle du scandale et du frisson ?
La mode est dans une course en avant, elle cherche toujours à être surprenante et inattendue. Quand Kate Moss est surprise en train de se faire un rail dans une soirée, un contrat tombe, mais dix autres viennent derrière. On ne peut pas encourager ça et en faire une égérie. Ce n’est finalement pas surprenant que ces gens aillent chercher une pauvre fille comme Zahia et lui donner des lettres de noblesse en sachant très bien qu’elle ne les a pas. Sa collection est faite par 15 professionnels payés à prix d’or car elle est sponsorisée par un milliardaire singapourien. Cette fille, ce n’est rien et cette situation est, au mieux, glauque. La mode dans ce qu’elle a de plus élevé, soit la haute couture, a pour mission de faire frissonner des milliardaires texanes, new-yorkaises et brésiliennes. Ces gens-là ont tout vu. Il leur en faut plus : des lapins éventrés sur la scène, un mec qui se branle dans un verre... Il faut toujours être dans la surenchère pour que ces personnes sortent leur chéquier.
Après 20 ans d’existence, comment fait-on évoluer un programme comme le Journal du hard ?
Il y a des choses qui ont changé depuis la naissance de l’émission. À l’époque, le X était cantonné à la sphère adulte. Désormais, il s’est banalisé et est plus présent dans le quotidien des gens. Et parce qu’il est plus présent visuellement, il fait moins sourire. Il y a deux décennies, ou plutôt dans les années 70, le porno faisait marrer tout le monde. En dehors de la partie religieuse, les gens ne voyaient pas forcément le mal. On est obligé de tenir compte de ça dans la manière de traiter les sujets. On propose un décodage de ce que fait ce milieu, on décrypte davantage. Il y a dix ans, un journaliste se rendait sur un tournage, il interviewait un acteur et une actrice et pensait avoir fait son métier. Aujourd’hui, on peut encore le faire, mais on va leur demander comment ils s’inscrivent dans le siècle. D’une émission de cul, le Journal du hard est devenue une émission de culture sur la sexualité.
Ne serait-il pas intéressant, au vu de son évolution, que l’émission soit programmée à une heure moins confidentielle ?
Le Journal du Hard est en catégorie 5 et le CSA n’autorise qu’un certain nombre de programmes dans l’année y appartenant. Un déplacement à 23 heures pourrait être intéressant. Programmer plus tôt obligerait à flouter ou mosaïquer beaucoup d’éléments, mais ce serait un vrai test à faire. Je crois que la chaîne n’a pas encore eu le courage d’essayer. Après l’audience de notre rendez-vous a toujours été large. L’émission mensuelle a toujours été entre 750 000 et un million d’abonnés.
Canal+ est-elle interventionniste ?
Le service juridique de la chaîne est très présent pour s’assurer que la dignité de la femme ne soit pas atteinte. En dehors des contraintes immédiates du CSA, on pourrait simplement passer la frontière, mais Canal+ applique une charte qu’elle s’est autoéditée. Ils sont vigilants.
« Une femme a plus le sens critique sur les défauts mécaniques de certains réalisateurs »
Les consommateurs de porno sont de plus en plus des consommatrices. Ce nouveau profil s’est-il également vérifié dans les études d’audience du Journal du hard ?
Il y a augmentation des femmes de 20 à 25% sur les cinq dernières années. Il y a effectivement une pente ascendante assez marquée.
Depuis Julia Channel en 2001, le Journal du hard est présenté par des femmes. Ce n’est donc pas un hasard ?
C’est primordial de ne pas rester entre hommes. Un regard féminin est essentiel car il est plus piquant et spirituel. Une femme a plus le sens critique sur les défauts mécaniques de certains réalisateurs, notamment ceux qui ont l’impression d’avoir fait leur boulot en laissant juste la caméra tourner jusqu’à la fin d’une pénétration. Avec les hommes, on risque d’être davantage dans une surenchère à la bêtise. Le X, sauf dans le milieu gay, ça se fait avec des hommes et des femmes. Il faut absolument qu’elles aient leur place. Donia Eden, l’actuelle animatrice, est une fille très intelligente avec beaucoup d’esprit et d’humour. Elle participe au débat.
La place des femmes dans cette industrie est un aspect que l’on voit notamment dans Hard. Qu’avez-vous pensé de cette série ?
Hard pose un problème : ça ne s’inspire pas du tout de la réalité. La série a été fondée par Bruno Gaccio, un ancien auteur des Guignols. J’en ai discuté avec lui et il est parti du milieu du X encore un peu glorieux et argenté des années 80. Le débat avec le fils qui veut faire plus de vidéos trash et de nouveautés est enterré depuis 30 ans. On n’a plus besoin de concevoir le X comme ça. On n’est plus dans le combat entre la qualité et le trash.
Un débat qui a également été au cœur de la série Xanadu sur Arte...
Xanadu présentait le même travers. Elle se voulait réaliste en prenant une veine dramatique, mais elle l’était beaucoup trop. Il n’y avait pas une personne qui était heureuse ; tous les personnages étaient névrosés. Moi je connais des gens heureux dans ce milieu. On a d’un côté une fiction trop caricaturale (Hard) et, de l’autre, on a trop tiré sur la corde du drame pour montrer à quel point le porno c’est sale, mauvais, névropathe et à quel point la sexualité rend les gens malades. C’est une autre forme de puritanisme. Les mecs qui ont produit Xanadu pensaient sans doute qu’ils allaient dévoiler des trucs, mais non seulement ils n’ont rien dévoilé, mais en plus ils ont dit des conneries plus grosses qu’eux. C’est arrière-garde.